L'image paradoxale. Fixité et mouvement  

 

Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, collection Arts du spectacle - Images et sons, 2011

 

 

 

Préface

 

Le présent ouvrage traite de l’aspect paradoxal de ces images (plus nombreuses qu’on ne le croirait à première vue) qui garderaient en elles une quelconque trace du mouvement et dont on ne saurait ainsi dire si on peut tout de même continuer, en raison de cela même, à les classer dans l’une ou l’autre de ces catégories fermées que sont, d’une part, les images fixes et, de l’autre, les images animées. Voilà la perspective, nouvelle et rafraîchissante, sur les images que nous propose Caroline Chik, une jeune docteure en Arts plastiques dont les travaux arrivent à point nommé pour répondre à des questions qui taraudent ces temps-ci bon nombre de chercheurs, dans le champ notamment des Études cinématographiques. Autant ceux et celles qui s’intéressent à la production contemporaine d’images en tous genres et sur tous supports (et tout type d’écran) que ceux et celles qui ont cette fibre historique qui les ramène à cette période ancienne où les jouets optiques trônaient dans les salons et au cours de laquelle on mettait au point, sans nécessairement le savoir, l’ensemble des procédés à la base de la prise de vues cinématographique. Par des raccourcis magistraux, l’auteure amène en effet le lecteur à passer allègrement des images interactives de notre contemporanéité médiatique aux images optiques de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, en passant par celles, plus « classiques » (ou plutôt plus classiquement obtenues), de la photographie et de la cinématographie. Grâce à pareille juxtaposition, le lecteur est invité à comprendre ce qui réunit les deux types d’images, soit cette relation optico-manuelle dont Caroline Chik se fait le chantre. Le lecteur sera ainsi mieux en mesure de comprendre la résurgence de figures « zootropiques » dans le contexte du Web et le retour en grâce en son sein du jouet optique d’antan et de l’économique boucle d’images.
Ce sont des pistes nouvelles, des voies inédites qu’emprunte Caroline Chik, qui n’hésite pas une seconde à faire de la fixité et du mouvement des catégories pas autant incompatibles qu’on a bien voulu le croire.  Ce sont de vraies questions que pose ce livre, des questions essentielles et pourtant négligées. L’une de ces questions en est une de méthode, et elle est, à mon avis, d’une incommensurable portée. Là où Caroline Chik se montre la plus audacieuse, c’est quand elle propose que l’on cesse de penser chaque image comme étant nécessairement associée à un médium en particulier. La jeune auteure nous convie en effet à penser en termes d’image plutôt qu’en termes de médium (plutôt qu’en termes de support, qu’en termes de dispositif). De l’aveu même de l'auteure, ce serait d’ailleurs le fait de pouvoir ainsi envisager une image « surfant » sur les différents médiums qui lui permettrait d’échapper à une certaine forme d’« impasse ontologique » de l’image.
Ce dont l’auteure se rend bien compte, c’est qu’un médium ne représente au fond qu’une fédération passagère de certains types d’expression artistique et culturelle, de phénomènes autrement disparates, dont l’unité médiatique apparente peut parfois nous empêcher de faire des distinctions pourtant essentielles. Il faut donc d’abord et avant tout savoir aller au-delà des apparences si l’on veut être en mesure de renouveler la pensée. Au-delà des apparences, mais aussi au-delà des poncifs et des clichés. Ainsi de cette catégorie du « pré-cinéma », lieu commun de l’impensé historique, dirais-je, que Caroline Chik pourfend avec force et élégance (ce qui n’est certes pas pour déplaire au signataire de cette préface, qui s’est lui-même adonné à pareil exercice dans certains de ses écrits !). Comme l’auteure du présent ouvrage le clame haut et fort, il faut certes se réapproprier l’histoire de la photographie. Tout comme il faut, tout aussi bien dirais-je, se réapproprier l’histoire des jouets optiques, l’histoire de la chronophotographie et l’histoire de chacune des multiples inventions ayant précédé l’invention du cinématographe, dont la place qu’il occupe au firmament des dispositifs de production d’images ne doit pas oblitérer ce qui est venu avant lui.
 
La thèse à l’origine du présent ouvrage, en provenance du champ des études en Arts plastiques, a su d’abord intéresser les tenants du champ des Études cinématographiques. Après la soutenance à l’Université Paris 8, la candidate s’est méritée une invitation à effectuer un stage postdoctoral à l’Université de Montréal, dans le groupe de recherche dirigé par le signataire de la présente préface, et elle a été invitée à publier dans une collection clairement identifiée au champ des Études cinématographiques. Ce sont cependant toutes les disciplines ou champs d’études pour lesquels l’image joue un rôle central qui auraient intérêt à découvrir les propositions de Caroline Chik : elles sont stimulantes et hautement songées, et elles permettent d’envisager les rapports entre images d’une manière renouvelée et hautement productive.
 

André Gaudreault,
Directeur du GRAFICS (Groupe de recherche sur l’avènement et la formation des institutions cinématographique et scénique), Université de Montréal